“Les Montagnes. Vous avez-dit changement ?”, Xavier Bernier pour La documentation photographique
Xavier Bernier est l’auteur du dernier numéro de La documentation photographique :
“Les Montagnes. Vous avez-dit changement?”
Les montagnes sont volontiers enfermées dans une forme d’immobilisme, sinon d’éternité, dans de nombreuses représentations. Puisque « seules les montagnes sont éternelles », elles ne seraient de fait pas concernées par le changement ? N’y a-t-il pas d’ailleurs, tout là-haut, des « neiges éternelles » ? Et quand Stendhal parcourait Grenoble, n’hésitait-il pas à se dire rassuré de trouver « au bout de chaque rue une montagne » (Vie de Henry Brulard, 1832-1836) ?
Beaucoup de sociétés veulent d’ailleurs voir dans la présence des montagnes des ancrages dans une stabilité rêvée du monde. Leur place dans de nombreuses cosmogonies tout autant que la présence de divinités sur leurs sommets leur confèrent souvent un statut particulier. Le mont Sinaï, le mont Ararat, le mont des Oliviers, le Jabal al-Nour, le mont Shasta, le Kilauea, le mont Uluru (Ayers Rock), les volcans Tongariro, le Machapuchare, le mont Kailasah, le mont Matobo, le mont Kenya, le pic Adam, le mont Fuji… : qu’il s’agisse des religions du Livre, de l’hindouisme, du bouddhisme ou d’autres croyances traditionnelles, pas un continent qui ne soit concerné et articulé ainsi par ses montagnes, « depuis toujours et pour toujours ». Les montagnes seraient donc le domaine des permanences et des stabilités ?
Les travaux scientifiques sur la montagne n’ont pourtant jamais manqué de s’inscrire dans l’espace-temps pour identifier des ruptures et des basculements, bref des impermanences, et en donner des chronologies. S’agissant des montagnes, les multiples retournements des représentations ont été très bien documentés. L’ouvrage Les faiseurs de montagne de Bernard Debarbieux et Gilles Rudaz (2010) en propose une très bonne synthèse. Des tournants dans les imaginaires sont détaillés, pour expliquer la sanctuarisation des hauteurs, ou les origines de lectures savantes ou politiques. Attraction/répulsion, ouverture/fermeture, découverte/oubli, conquête/abandon, effroi/refuge… sont de fait autant de couples régulièrement activés quand il s’agit d’aborder les montagnes. Tout cela se retrouve dans les formes d’expression artistique, les discours, la publicité et le marketing ou bien encore dans les inscriptions.