L’École, de l’érudition à la capacitation.
The school: From Erudition to Capacitation.
Un problème proposé par Irene Sartoretti
Dans un marché du travail où les savoirs professionnels évoluent vite et de manière parfois imprévisible et où il y a également une extension des caractéristiques non routinières des professions, les capacités remplacent les certifications. À ce propos, les sociologues Boltanski & Chiapello (1999) substituent, à la notion de qualification, la notion de capacitation. Le rapport France Stratégie sur l’école (Son Ly 2016), fait écho à cette idée en parlant de compétences transversales telles l’autonomie, la créativité et la collaboration, leur manque étant responsable d’une intégration difficile dans le monde du travail de la part des élèves français.
D’autres chercheurs opposent un capital de stock, fait de diplômes et de savoirs mesurés par ces diplômes, à un capital de flux (Menger 2017, Lévy, Koseki, Sartoretti 2020) qui implique l’appropriation opérationnelle des savoirs disciplinaires et inclut des compétences de type holistique et évolutif. Si le capital de stock tend, dans le cadre d’une acquisition de masse des diplômes, à se déprécier, le capital de flux est quant à lui très prisé, en incluant des attitudes, des dispositions et des qualités qui représentent une plus-value par rapport au simple diplôme. Toutefois ces attitudes, dispositions et qualités sont difficiles non seulement à mesurer mais également à définir. Cela n’aurait pas d’importance, si la nature conjoncturelle, individualisée et non standardisée du capital de flux ne rendrait difficile sa transformation en enjeu stratégique pour l’Éducation Nationale. Notamment, sa transformation en programmes et objectifs à atteindre.
On est donc face à un paradoxe, comme le montre Pierre Menger (2017). Le monde du travail valorise ce qui est souvent indiqué par les employeurs sous le nom de soft skills et qui constitue un élément déterminant dans la sélection des candidats et dans les avancements de carrière, sans pourtant que ces capacités soient clairement définies ni mesurables. Même les chercheurs ne sont pas d'accord sur la définition et le rôle de ce qui est variablement appelé soft skills ou habilités, ou encore capacités et compétences sans certification (Bryson 2017). D’autant plus que ces capacités, pour ainsi dire soft, varient beaucoup jusqu’à être parfois opposées selon le type de profession et de rôle. Cela rend compliqué la définition d’un contenu, de modalités et de priorités d’enseignement qui tiennent compte de ces aspects. L’évaluation de la réussite des stratégies scolaires pour augmenter ces capacités reste également floue.
La question est : comment peut-on transformer en enjeu de la politique éducative nationale quelque chose qui ne relève pas d’un capital culturel standard, mais d’autres ressources cognitives jusqu’ici non clairement définies ni mesurables ? Comment évaluer si une certaine politique éducative permet d’atteindre ce type de capacités ?
In the contemporary labor market, professional knowledge evolves rapidly and often in an unpredictable way. Moreover, the non-routinely part of jobs increases. In this kind of context, certifications are replaced by capabilities.
On this subject, sociologists Boltanski & Chiapello (1999) substitute the notion of qualification for the one of capacitation.
A report about school by France Stratégie (Son Ly 2016) states something similar, by highlighting how transversal competences, such as autonomy, creativity and collaboration, are responsible for the difficult integration of French students in the labor market.
Other researchers oppose the traditional stock capital, made by certifications of knowledge, to a flux capital (Menger 2017, Lévy, Koseki, Sartoretti 2020).
This latter implies the operational appropriation of knowledge and encompasses holistic as well as evolving competences.
In the contemporary context of mass education, stock capital tends to be depreciated, while flux capital is more and more required, because it includes attitudes, dispositions and qualities that represent a plus-value.
Nevertheless, flux capital is difficult not only to measure but also to define, because of its non-standardized and highly individualized nature.
Therefore, it is difficult to transform flux capital in a strategic issue, in programs and concrete objectives by education politics.
Hence, Pierre Menger states that we are confronted with a paradox (2017). The labor market gives importance to soft skills, as they are called by employers, that are determinant in the selection of candidates and their successive career, without a precise definition of this kind of skills.
Even the researchers do not agree about the definition and the role of what is variably called soft skills, abilities, capabilities or competencies without certification (Bryson 2017).
Furthermore, the kind of competences is not the same for all professions and roles.
Therefore, it is complicated to define contents, modalities and priorities of teaching that guarantee the acquisition of a flux capital, and to evaluate their success.
The question is: how is it possible to transform in education politics something that is not a standardized cultural capital but part of other cognitive resources neither clearly defined nor measurable? How is it possible to evaluate education politics created to obtain this kind of cognitive resources?
References :
Boltanski, Luc, Chiapello, Éve (1999), Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
Bryson, Jane (2017), « Disciplinary Perspectives on Skill », dans : Buchanan John, Finegold David, Mayhew Ken, Warhurst Chris, The Oxford Handbook of Skills and Training, London, Oxford University Press.
Lévy, Jacques, Koseki, Shin, Sartoretti, Irene (2020), Rapport EPER, De l’Espace pour l’école de la Réussite, soutenu par le Rectorat de Reims. Lien.
Menger, Pierre Michel (sous la direction de) (2018), Le talent en débat, Paris, PUF.
Son Ly, Thierry (sous la direction de) (2016), Quelle finalité pour quelle école ?, rapport disponible sur le site.