La France recomposée


Notre point de départ était de privilégier une démarche bottom-up. Au lieu de nous référer aux maillages administratifs existants et de découper la France, de loin, à larges coups de ciseaux, nous avons adopté un principe simple : pour réorganiser les territoires politiques français autour de deux niveaux, local et régional, il faut partir du premier et faire émerger le second comme une constellation d’espaces locaux.

Il en résulte une démarche en trois temps : configurations, interconnexion, composition.

 

Une construction ascendante

I. Configurations

D’abord, nous avons cherché à dessiner une carte des territoires locaux pertinents, les pays, au plus près des espaces vécus et pratiqués par les habitants. Nous avons pris en compte le niveau très élevé d’urbanisation de la France et nous avons pris pour trame de base les aires urbaines, petites, moyennes et grandes découpées par l’Insee à partir des agglomérations (« pôles urbains ») et des « couronnes périurbaines », qui regroupent l’écrasante majorité de la population française. Nous avons élargi ces aires urbaines en y incluant la partie des habitants des « communes multipolarisées » et des « communes isolées » qui sont significativement connectées à ces aires. Nous obtenons ainsi 771 pays, de taille variable, de 3 000 à 12 millions d’habitants regroupant 57,5 millions d’habitants, soit 90% de la population de la France métropolitaine. Nous avons considéré cette première carte comme un socle sur lequel se fonde la suite du processus. Dans cet esprit, les frontières des régions ne peuvent pas couper en deux un pays.

La France des pays locaux, carte euclidienne.

La France des pays locaux, carte euclidienne.

La France des pays locaux, cartogramme.

La France des pays locaux, cartogramme.

 

Par ailleurs, les habitants qui vivent dans les zones les moins urbanisées (marges hypo-urbaines) devraient décider, à l’issue d’un processus de concertation, de se rattacher à un pays plutôt qu’à un autre, ou, le cas échéant, de proposer d’en créer de nouveaux. Le maintien des départements ne paraît pas la bonne solution à cet égard car dans aucun département ces zones ne sont majoritaires. L’expression de « départements ruraux » constitue donc un abus de langage. On peut certes imaginer que des zones à faible densité se regroupent pour mutualiser leurs efforts plutôt que de rejoindre des pays existants, mais dans ce cas on obtiendrait des « pays en réseau » assez éloignés de la structure actuelle des départements. Si on appliquait la technique du « dollar troué » comme cela s’est fait dans le département du Rhône (l’agglomération quitte le département et celui-ci comprend désormais un vide en son centre), il n’est pas certain que cela ferait l’affaire de ces parties du territoire disposant de faibles ressources fiscales potentielles. Le maintien du transfert automatique de ressources des villes et leur distribution clientéliste aux campagnes, comme c’est le cas actuellement, apparaît, lui, contradictoire avec le principe même de la réforme territoriale en cours. 

II. Interconnexion

Nous avons ensuite analysé les relations entre pays et, en nous appuyant sur d’autres travaux, nous avons défini une carte des interconnexions entre pays qui forme une nouvelle trame, celle des systèmes urbains. Là encore, nous sommes partis du principe que les ensembles constitués par ces liens interurbains ne devaient pas être divisés. La concertation avec les habitants concernés permettra de fixer de manière précise les limites des futures régions. C’est cette lecture ouverte à une prise en compte du tissu fin des solidarités locales que les cartes indiquent par les limites en pointillé.

Liens entre pays, carte euclidienne.

Liens entre pays, carte euclidienne.

Partir des espaces vécus et des mobilités, détail.

Partir des espaces vécus et des mobilités, détail.

III. Composition

À l’issue du processus, nous avons composé une carte des régions qui satisfait au double critère des ressources objectives et subjectives. Les ressources objectives reposent sur trois éléments : l’armature métropolitaine, clé du développement de la société créative et de l’intégration dans des espaces plus larges, européen et mondial ; les réseaux urbains, qui permettent la diffusion des logiques métropolitaines;
les autres activités productives (agriculture, industrie, tourisme, autres services). Les ressources subjectives sont celles qui résultent des identités, anciennes ou récentes, des habitants autour d’une mémoire et d’un projet et qui constituent une condition essentielle de l’orientation vers de nouveaux modèles de développement dont la société française a ardemment besoin. Ainsi, logiquement, les régions n’ont pas toutes la même taille car elles sont le produit d’équilibres différenciés entre ressources objectives et subjectives. La Corse (300 000 habitants) et le Bassin parisien (22,2 millions) sont tous deux légitimes, tous deux contemporains, tous deux utiles.

Apparaissent alors dix régions solides, ancrées dans une histoire longue, de la Gaule romaine à la révolution industrielle et, simultanément, conçues pour aider les sociétés qui lui correspondent à inventer un avenir non encore écrit.

Huit cent pays, dix régions, carte euclidienne.

Huit cent pays, dix régions, carte euclidienne.

Huit cents pays, dix régions, cartogramme.

Huit cents pays, dix régions, cartogramme.

Enfin, là où les identités sont fortes, mais pas au point de constituer une région de plein exercice, il apparaît raisonnable de proposer des espaces culturels, qui bénéficieraient de soutiens contractuels de la part de l’État national et de la ou des régions où elles s’inscrivent. La carte de ces onze espaces présentée ici est indicative d’une démarche. On peut imaginer que d’autres espaces se manifestent. On peut aussi considérer que les limites proposées, qui correspondent à des espaces culturels historiques, n’empêchent pas les politiques publiques de se déployer au-delà : les Corses de Marseille et les Bretons de Paris devraient pouvoir en bénéficier.

Onze espaces culturels

Onze espaces culturels

La France qui se dégage de cet exercice est à la fois plurielle, différenciée et profondément orientée, à toutes ses échelles, vers l’idée de l’égalité. Celle-ci est pensée non plus comme une déclaration formelle, mais comme un objectif volontaire, inséparable de la mobilisation des sociétés locales et régionales en faveur du développement et de la justice. Cela suppose une série de modifications institutionnelles permettant d’asseoir les compétences, les ressources et la légitimité démocratique des deux grands échelons ainsi créés. Outre la fin du cumul des mandats, la suppression des départements, l’élection au suffrage universel des assemblées et des exécutifs de pays, la redéfinition du rôle de la commune et la constructionconcertée d’un nouvel équilibre fiscal entre niveaux font certainement partie des réformes à venir.

Nous sommes heureux de proposer cette modeste contribution de chercheurs à un débat public de la plus grande importance.