"Inhabitable pour qui ? Handicaps. Et relation(s) à l’espace", une contribution de Salomé Nabeth

Inhabitable pour qui ? Handicaps. Et relation(s) à l’espace

Et si l’habitable et l’inhabitable n’étaient pas des réalités opposées mais contiguës ? Tout comme l’habitable, l’inhabitable relève d’abord d’une perception. On juge qu’un espace est habitable ou non en fonction d’un éventail de critères et de normes, déterminés par empirisme ou par idéologie. Par exemple, dans son essai “La Condition Urbaine”, Olivier Mongin atteste que le premier critère d’une ville idéale serait la capacité de s’y mouvoir à l’infini, selon toutes les trajectoires corporelles possibles et imaginables. Or, si la mobilité est un indicateur indispensable pour évaluer l’habitabilité d’un territoire, la diversité des profils et de leurs capacités motrices fait que les individus n’ont pas accès aux mêmes espaces, avec la même aisance. L’auteur admet en effet qu’aujourd’hui, le monde est fait d’obstacles causant une incertitude urbaine permanente.

En 2023, la question de l’accès au logement pour les personnes en situation de handicap remet en cause le degré d’adaptabilité des villes dans la plupart des métropoles. À Paris, en dépit de certains succès de la loi du 11 février 2005 sur la participation à la citoyenneté des personnes handicapées, le réaménagement de la capitale en faveur de ces dernières continue d’être erratique. Serait-ce un héritage des travaux du Corbusier et sa théorie du Modulor : silhouette humaine standardisée qui servirait de modèle pour les proportions des unités d’habitation ? En se plaçant sous le prisme du handicap, on se rend compte que l’inhabitable n’est pas un phénomène marginal, mais plus vraisemblablement une épreuve quotidienne.

Paris : ville de l’exiguïté

Dans son rapport sur le Logement et le Handicap à Paris de 2005, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (Apur) relate que, faute d’accès aux résidences du parc privé, de fluidité de la circulation, beaucoup de personnes handicapées se résignent à élire domicile dans les établissements d’assistance médicalisée, alors que ces mêmes infrastructures sont censées accueillir les patients de façon temporaire. La discrimination socio-spatiale des personnes atteintes de handicap moteur découle notamment de l’architecture de la capitale. En raison de sa densité, Paris intramuros est majoritairement composé de deux-pièces (56% du parc) et de studios (24%, soit 1/4 du parc). Les conditions ne sont donc pas optimales pour offrir un séjour spacieux aux personnes à mobilité réduite. L’accès au parc social est lui aussi entravé. Il s’accroit à Paris mais reste contraint sur le plan foncier. Si la création de nouveaux logements avait été propice à l’élaboration d’un architectural plus adapté aux personnes handicapées, le taux de construction effective de nouveaux logements sociaux ne s’élève qu’à 26% (contraire à la réglementation de la loi SRU), tandis que 46% des nouveaux logements sociaux proviennent d’anciens immeubles exigus, acquis par la puissance publique.

Re–configurer l’aménagement : combien coûterait de prendre en compte toutes les situations possibles et imaginables ?

Pourrait-on proposer des logements neufs adaptables ? Cette suggestion fait débat. Certains maîtres d’œuvre et d’ouvrages martèlent que ce type de travaux entraînerait un coût non négligeable car il faudrait couvrir une plus grande surface que d’ordinaire. Il faudrait compter 3 à 4 mètres carrés supplémentaires (pour la salle de bain et les toilettes) ce qui correspondrait à un surcoût de 5 à 10% d’après les bailleurs. D’autres affirment au contraire que d’imaginer des logements plus adaptés bénéficierait à tous les citoyens et ne demanderait qu’un changement logistique, sans surcoût.

Un autre argument fait également obstacle à la reconfiguration spatiale de l’habitat en ville. Il faudrait imaginer en amont avec les responsables des personnes handicapées, un plan sur-mesure afin de répondre correctement aux besoins spécifiques de chacun. En effet, le spectre des handicaps est large. Aussi, les aménagements à prévoir pour un malvoyant (signaux sonores, indicateurs spatiaux…) ne seront pas identiques à ceux d’un malentendant (signaux visuels et scripturaux). Une construction uniforme à l’échelle de l’ensemble du parc est donc difficilement envisageable. Dans son ouvrage “Vivre À Corps Perdu”, Robert Murphy fustige la conception valido-centrique qui prévaut dans notre société. De fait, l’absence d’outils et de prise en considération de toutes les formes de handicaps, éloigne les collectivités territoriales des objectifs fixés par les réglementations de 2005… et accentue l’inhabitabilité.

Sources :

Robert Murphy (1990), Vivre à corps perdu: Le témoignage et le combat d'un anthropologue paralysé, Plon

Apur (avril 2018) : Le handicap à Paris, analyse des tendances récentes – Étude réalisée dans le cadre de l’Observatoire Parisien du Handicap

Cairn.fr, le Journal des Psychologues, Mathilde Mus (2013) : Quelle place pour les personnes

handicapées dans la société ?

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